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► il est temps de libérer LEONARD PELTIER
Robert Kennedy discutant des besoins des Indiens avec Alfred Pilsmore, un Sioux Lakota de 86 ans, le 16 avril 1968 sur la réserve indienne de Pine Ridge (Dakota du Sud) - Crédit : Associated Press -
IL EST TEMPS DE LIBÉRER LEONARD PELTIER1
PAR LEVI RICKERT (SITE WEB NATIVE NEWS ONLINE, 29 AOÛT 2021)
(TRADUIT DE L’ANGLAIS ET ANNOTÉ PAR ISMÈNE TOUSSAINT)
L’historien Arthur M. Schlesinger fils a écrit dans Robert Kennedy et son temps2 : « le jour même où Robert Kennedy mourut, un membre de la Nation Sénéca de New York, dont il avait visité la réserve en 1967, adressa le message suivant à sa veuve : « nous l’aimions aussi. Mme Kennedy, aimer un personnage public officiel, c’est presque du jamais vu pour un Indien. Nous avions confiance en lui. Ce qui est aussi du jamais vu pour un Indien. Nous avions foi en lui. »
Feu l’érudit indien américain Vine Deloria fils3 a également écrit ceci à son sujet : « c’était un homme qui pouvait se déplacer d’un monde à l’autre sans jamais être un étranger nulle part... Sur le plan spirituel, c’était un Indien. »
Robert Kennedy (1925-1968) était un héros pour les Indiens américains parce qu’il était un des rares hommes politiques à avoir prêté attention à la pauvreté de masse, au manque de logements et à la précarité des services de soins dans les réserves.
Frère cadet du président John F. Kennedy, il servait dans son administration en qualité de ministre de la Justice des États-Unis. Après l’assassinat de son aîné, il devint sénateur des États-Unis, représentant New York. En 1968, il chercha à être investi candidat à l'élection présidentielle par le Parti démocrate.
Le 4 juin 1968, il remporta la primaire de Californie. Quelques minutes après avoir prononcé son discours de réception, il quitta le podium et on lui fit faire un détour par la cuisine de l’hôtel Ambassador. Sirhan4 attendait le sénateur avec un fusil chargé et tira trois fois sur lui à bout portant. On plaqua le tueur sur le sol, où on le maintint jusqu’à ce que les forces policières viennent l’arrêter.
Ayant été condamné pour meurtre au premier degré, Sirhan est incarcéré depuis 53 ans. Vendredi dernier, à Los Angelès, le jury d’un comité de probation a recommandé sa libération. Cette recommandation n’accorde pas de libération immédiate. Le comité de probation a 120 jours pour réviser la recommandation des deux jurys. Puis on donnera au gouverneur de Californie la possibilité de rejeter la décision.
La recommandation de vendredi, susceptible de mener à la libération de Sirhan, m’a fait songer à Leonard Peltier, un membre de la Nation chippewa de Turtle Mountain (Montagne-à-la-Tortue, Dakota du Nord), qui est emprisonné depuis 46 ans : il avait été accusé du meurtre de deux agents du FBI [Jack Coler et Ron Williams], qui s’était déroulé en 1975 à Oglala, sur la réserve indienne de Pine Ridge (Dakota du Sud).
Pour de nombreux Indiens américains et bien d’autres gens, Leonard Peltier, qui aura 77 ans le 12 septembre prochain, est un symbole du système fédéral oppressif qui relègue les Autochtones à une place sombre dans la société américaine. C’est un prisonnier politique auquel nous ne pensons jamais, sauf quand il nous arrive de voir une étiquette collée sur le parechoc arrière d’un véhicule avec la mention : « LIBÉREZ Leonard Peltier ! »
« S’ils peuvent recommander la libération de Sirhan, qui a tué une figure aussi emblématique que Robert Kennedy, ils devraient certainement libérer Leonard Peltier, me disait le conseiller spirituel de ce dernier, Lenny Foster, de la Nation Diné. Il souffre depuis des années de graves problèmes de santé. Ce sont ses croyances spirituelles qui le soutiennent. »
Ancien juge en chef de la Cour de District des États-Unis pour le District du Milieu du Tennessee, Me Kevin Sharp, qui exerce aujourd’hui dans le secteur privé, a accepté de s’occuper à titre gracieux du cas de Peltier et de se battre pour sa liberté.
« Plutôt que de recevoir la protection égale pour tous en vertu de la loi, Leonard Peltier a été accusé sur la base d’une preuve fabriquée, d’un faux témoignage et d’un test balistique disculpatoire qui est demeuré caché, déclarait-il samedi dernier à Native News Online. Même si le gouvernement fédéral admet aujourd’hui qu’on ignore qui a tué les agents, Leonard reste en prison non pas parce que la preuve se situe au-delà du doute raisonnable, mais pour des raisons politiques. Sa dernière chance de libération, c’est la voix collective des gens qui se soucient de lui et qui osent se lever pour la justice et la miséricorde. »
Leonard Peltier n’est pas éligible à une libération conditionnelle avant 2024. Mais Me Sharp ne veut pas attendre pour essayer d’obtenir sa liberté. Il aimerait voir le président Joe Biden lui accorder la clémence.
Kevin Sharp bénéficie de l’appui de l’ancien ministre de la Justice des États-Unis, James H. Reynolds, qui avait poursuivi M. Peltier au nom du gouvernement fédéral. Dans une lettre au président Biden datée du 9 juillet 2021, celui-ci lui demande de commuer la sentence de M. Peltier :
« La condamnation et l’incarcération à perpétuité de Leonard Peltier sont le testament d’une époque et d’un système de justice qui ont fait long feu dans notre société », écrit-il. Et il conclut ainsi : « Je vous presse de tracer une voie différente dans l’histoire des relations entre le gouvernement et ses Autochtones par un geste de miséricorde, plutôt que par une indifférence continuelle. Je vous presse de faire un pas pour guérir une blessure que j’ai moi-même contribué à ouvrir. Je vous presse de commuer la sentence de Leonard Peltier en lui accordant la clémence exécutive. »
Au mois de mai 2020, la représentante politique Deb Haaland5 « twittait » déjà ceci :
« Le Congrès n’a pas pesé cette question depuis des années. Je presse l’administration de libérer de prison le militant des droits autochtones Leonard Peltier en raison du COVID-19. A 75 ans, avec des problèmes de santé chroniques, il est urgent que nous libérions Leonard Peltier. #FreeLeonardPeltier. »
A présent qu’elle est secrétaire au ministère de l’Intérieur, peut-être pourra-t-elle bénéficier de l’écoute du président et lui murmurer à l’oreille : « il est temps de libérer Leonard Peltier. »
Levi Rickert, directeur/fondateur de Native News Online
Article paru dans le site Web Native News Online, August, 29th, 2021, https://nativenewsonline.net/opinion/it-s-time-to-release-leonard-peltier
NOTES
1. Leonard Peltier (1944-). Leader, artiste-peintre et prisonnier politique autochtone américain. Né à Grand Forks (Dakota du Nord), ce membre des Nations sioux-lakota, anishinabée et chippewa, d'ascendance métisse canadienne française, joua un rôle important dans les années 1970 au sein de l'American Indian Movement (AIM, Mouvement des Indiens américains), dans le réveil de la fierté autochtone et des revendications des siens. En 1975, il fut accusé du meurtre de deux policiers fédéraux qui avait eu lieu dans la réserve de Pine Ridge (Dakota du Sud), lors de la commémoration du massacre des Sioux de Wounded Knee (1890), puis condamné sans preuves en 1977 à deux peines d'emprisonnement à perpétuité. Malgré la pression internationale, il est toujours détenu au pénitencier de Coleman (Floride).
2. Arthur Meier Schlesinger fils (1917-2007). Historien américain. Originaire de Columbus (Ohio), ce professeur d’histoire enseigna à l’Université Harvard (Cambridge, Massachusets) avant de devenir assistant particulier dans le gouvernement de John F. Kennedy : il était notamment chargé de coécrire ses discours. Spécialiste des présidences et du libéralisme des hommes politiques américains (au sens de « social-démocratie » à l’européenne), il publia de très nombreux ouvrages, dont The Age of Jackson (L’Ere Jackson, 1945) ; A Thousand Days: John F. Kennedy in the White House (Les mille jours : John F. Kennedy à la Maison Blanche, 1965) ; Robert Kennedy and His Times (Robert Kennedy et son temps, 1978) ; War and the Constitution: Abraham Lincoln and Franklin D. Roosevelt (La guerre et la Constitution : Abraham Lincoln et Franklin D. Roosevelt, 1988) ; The Disuniting of America: Reflections on a Multicultural Society (La désunion de l’Amérique : réflexions sur une société multiculturelle, 1991).
3. Vine Deloria fils (1933-2005). Historien et théologien sioux, militant des droits des Autochtones américains. Né à Martin (Dakota du Sud), il grandit sur la réserve des Sioux de Standing Rock (Le Rocher Debout, même État). Après ses études de droit, de sciences politiques et de théologie, il effectua une carrière d’enseignant dans diverses universités du pays. Élu en 1964 directeur exécutif du Congrès national des Indiens américains (National Congress of American Indians, NCAI), il rejoignit le Mouvement des Indiens américains (American Indian Movement, AIM) dès sa fondation, en 1968. L’année suivante, il publia un ouvrage qui attira l’attention nationale sur le sort des siens : Custer Died for Your Sins: An Indian Manifesto (Custer est mort pour vos péchés : manifeste indien). Dans les années 1970, tout en professant à l’Université de l’ouest de Washington à Bellingham (Western Washington University, Washington DC), il se fit le défenseur des traités de droits de pêche des tribus locales. De son imposante bibliographie sur ses compatriotes, on retiendra en particulier God is Red: A Native View of Religion (Dieu est rouge : la religion vue par les Autochtones, 1974).
4. Sirhan Sirhan (1944-). Originaire de Jérusalem (Israël), ce Palestinien d’origine jordanienne assassina le sénateur démocrate Robert Kennedy le 4 juin 1968 à l’hôtel Ambassador de Los Angelès, sous prétexte que celui-ci soutenait l’État d’Israël. L’homme politique de 43 ans venait de remporter la primaire de Californie et s’acheminait avec succès vers la présidence des États-Unis. Condamné l’année suivante à la peine de mort, Sirhan vit sa sentence commuée en détention à perpétuité.
5. Deb Haaland (Debra Anne Haaland, dite ; 1960-) Femme politique métisse américaine. Née à Wislow (Arizona), d’un père norvégio-américain et d’une mère Pueblo Laguna, elle effectua des études de droit à l’Université du Nouveau-Mexique, à Albuquerque. Ayant rejoint les rangs du Parti démocrate en 2004, elle fut en 2018 la première Autochtone (avec Sharice Davids, au Kansas) à devenir membre du Congrès, représentant la Chambre du Nouveau-Mexique. En 2021, elle fut également la première Amérindienne à être nommée secrétaire au ministère de l’Intérieur dans le gouvernement de Joe Biden. Défenseure des ressources naturelles, elle est aussi activement engagée dans le dossier des Femmes autochtones disparues et assassinées (Missing and Murdered Indigenous Women, MMIW).
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