• LETTRE DE « L'ÉTÉ INDIEN » DE LEONARD PELTIER, PRISONNIER POLITIQUE AUTOCHTONE AUX ÉTATS-UNIS


    Leonard Peltier lors de son arrestation en 1975
    © 3.bp.blogspot.com

    LA LETTRE DE « L'ÉTÉ INDIEN » : « LE MONDE POURRA FINALEMENT ÊTRE UN MEILLEUR ENDROIT... »

    PAR LEONARD PELTIER

    SITE WEB LEONARD PELTIER.INFO
    (TRADUITE DE L'ANGLAIS PAR ISMÈNE TOUSSAINT)

    Coleman, Floride, le 28 août 2014

     

    Salutations mes amis, mes parents et mes supporters,

     

    J’aimerais dire en ce moment-même quelques mots de remerciement et d’appréciation pour les dons récents que beaucoup d’entre vous ont effectués pour mes frais juridiques. Je sais que dans la période économique actuelle, il n’est pas toujours facile de trouver des fonds supplémentaires à envoyer. Je veux que vous sachiez que tous les gens qui travaillent actuellement dans mon comité sont des bénévoles, qu’aucun d’entre eux ne touche un salaire ou une paye. Tous les fonds qui ont été donnés seront exclusivement utilisés pour mes droits juridiques.

     

    C’est un tournant pour moi dans ma vie, c’est un tournant dans mes possibilités de libération. Je n’aime pas me montrer mélodramatique ou donner l’impression de me reposer sur votre sympathie mais je sens vraiment que si le président Obama ne me libère pas, je ne sortirai probablement jamais et que je mourrai ici, à l’intérieur.

     

    Il est si difficile de parler de la situation ou même d’y réfléchir, et comme on me met au courant de tous les malheurs qui arrivent encore aujourd’hui aux Premiers peuples, je me sens quelque peu coupable de parler de mes problèmes personnels. Dans tout le pays, les Autochtones, qu’ils soient jeunes ou vieux, se battent non seulement pour améliorer leur propre vie, mais pour vivre à un meilleur endroit, pour protéger notre environnement d’une manière traditionnelle, et avec un sens traditionnel des responsabilités. Nous devons TOUS reconnaître les faits scientifiques qui montrent qu’il est essentiel que TOUS les peuples de la Terre s’engagent dans cette cause, afin de la protéger pour les générations futures.

     

    Je suis presque à court de mots pour le moment. La partie de moi qui est pleine d’espoir a relevé un grand au fil des années. En exposant les violations constitutionnelles qu’on avait effectuées pour me reconnaître arbitrairement coupable, les inconsistances des témoins et la fabrication de l’évidence, j’ai gardé espoir.

     

    En regardant les nouvelles, j’entends et je vois des choses sur les brutalités de la police, sur la militarisation des forces policières, et d’ici, à l’intérieur, on se rend compte que le système judiciaire en Amérique s’est industrialisé, que tout se rapporte à l’argent. Toutes ces années, j’ai dit et redit notre nécessité d’évoluer. Il est nécessaire que nous nous levions contre ces méfaits, qui sont perpétrés contre les peuples de la Terre par les Corporations. Quand je pense à toutes les choses négatives auxquelles tant de gens font face, je suis ému par l’énormité des problèmes.

     

    Je reçois des lettres, on m’informe, et je suis au courant qu'un grand nombre de gens reconnaissent les exactions de la police et des agences gouvernementales qui nous enlèvent systématiquement nos droits constitutionnels, humains et civils ; et je suis aussi au courant qu’il y a beaucoup de gens qui ne réalisent même pas ces faits : ils pensent que cela affecte seulement quelqu’un d’autre, et pas eux.

    Nous devons faire de notre mieux pour prévenir les autres de ce à quoi nous faisons face. Nous devons faire notre possible pour nous mettre en réseau avec les gens qui tentent vraiment de faire quelque chose. Nous devons faire plus que nous asseoir devant un ordinateur et taper sur le bouton «J’aime».  Nous devons faire quelque chose de tangible et faire une différence qu’on puisse voir chaque jour. Si chacun d’entre nous choisit une petite chose et prend la responsabilité d’aider un certain nombre d’autres personnes à agir de même, nous pourrons finalement faire du monde un meilleur endroit.

     

    La Constitution des États-Unis était une copie de la Loi des Six Nations iroquoises : Thomas Jefferson, Thomas Paine, Benjamin Franklin, tous écrivirent où et d’où ils avaient tiré leurs idées et leur inspiration. Les principales prémisses de la constitution étant les suivantes : « vous avez la liberté de faire tout ce que vous voulez aussi longtemps que vous ne blesserez personne par vos actions ». Elle préconisait aussi la responsabilité communautaire et bien-sûr les droits des femmes, que la constitution originelle des États-Unis n’avait pas copiés.

     

    En parlant de liberté, je veux que vous sachiez que durant mes 39 années passées dans cette cellule, dans ces prisons, j’ai encore hâte à la liberté et que je la chéris. L’amour de la Liberté est probablement la chose la plus commune que tous les gens partagent. N'importe quelle créature maintenue trop longtemps dans une position ou dans un endroit quelconque luttera pour qu’on la laisse libre, même un bébé tenu dans les bras de quelqu’un.

     

    Être emprisonné pour quelque chose dont vous n’êtes pas coupable provoque à l’intérieur de vous une douleur que vous ne pouvez pas imaginer : ce n’est pas comme une blessure qui ne guérit pas, C’EST une blessure qui ne guérit pas, c’est une douleur qui ne part jamais.

     

    Je m’excuse de paraître aussi sombre mais c'est qu'il y a des moments où tout me pèse vraiment. Nous avons tous besoin de nous encourager les uns les autres, nous avons tous besoin de nous lever avec force, pour nos croyances et pour notre spiritualité. Nous avons besoin de chercher à l’extérieur les choses qui nous rendent plus forts, physiquement, mentalement, spirituellement, et de nous mettre en réseau avec d’autres gens qui ressentent la même chose. Nous avons besoin d’être sûrs de faire la bonne chose et de choisir prudemment nos combats. Nous avons besoin de mettre nos ressources là où elles auront l’effet le plus durable.

     

    Je sais qu’il y a beaucoup de programmes à l’extérieur, qui permettent d'être au cœur de l’action mais comme je l’ai dit tant de fois, nous avons vraiment besoin de nous pencher sur les programmes destinés à nos jeunes.

     

    Il y a besoin de comités de réclamations qui soient autonomes par rapport aux agences départementales locales, où une personne puisse faire entendre ses préoccupations et où quelque chose soit fait à leur sujet. Il y a besoin de programmes d'élèves officiers, afin que les jeunes puissent aussi faire partie du système judiciaire ; pas seulement en prison, mais en tant que policiers et défenseurs de la justice. Les forces policières de ce pays sont entraînées totalement comme des malades pour des tâches d'hommes de main, elles affichent constamment leur crainte en blessant les gens. La violence est toujours provoquée par la crainte. Dans certains cas, c’est la crainte de la violence elle-même qui la provoque. Dans d’autres cas, ces officiers ont peur de ne pas être validés par leurs propres collègues s'ils n'affichent pas leur force avec violence.

    En outre, ils ont besoin d’être entraînés à un niveau où ils aient confiance en eux-mêmes et en la responsabilité qu’ils ont envers les gens qu’ils sont supposés servir. Ils ont besoin d’être entraînés de manière à avoir une relation avec les gens qui ne soit pas celle du «NOUS CONTRE EUX».

    Les gens devraient être capables de reconnaître que ces officiers sont là pour le peuple, par le comportement responsable dont ils font preuve et par la manière dont ils se conduisent. Nous ne devrions pas avoir à craindre ceux qui sont censés nous protéger. Chaque officier devrait être entraîné pour interagir avec le public d’une manière gentille, cordiale, et cette violence, pour eux, être utilisée en dernier et en extrême recours, seulement à un niveau de nécessité appropriée.

    À nouveau, je voudrais vous encourager, tous et chacun d'entre vous, à être proactif et à trouver une voie d’engagement qui vous fasse vous sentir bien dans vos actes et qui vous fasse progresser dans votre propre vie. Il y a toujours eu des malfaiteurs, des voyous et des parasites qui s’attachent aux luttes des autres avec leurs belles paroles, mais comme Martin Luther King disait un jour : « Si un homme reste courbé, un autre essaiera toujours de le chevaucher mais si vous vous levez, il n’aura pas d’autre choix que d’être désarçonné » ; et Émiliano Zapata, un célèbre révolutionnaire autochtone sud-américain, disait aussi un jour : « Je préfèrerais mourir debout que de vivre à genoux ». Je pense même que la Bible de l’homme blanc dit : « Je préfèrerais être un lion mort que de vivre comme un mouton. »

    Peut-être vous ai-je gardé trop longtemps à lire ceci, mais j’étais juste en train de faire les cent pas dans ma cellule et de réfléchir à ces choses ; et je pensais que je devrais partager certaines de mes pensées avec vous. J’espère que demain et les jours suivants de votre vie, vous vous sentirez bien dans vos actes ; et sachez que dans vos luttes pour faire le bien, mon cœur est avec vous.

    À nouveau, je voudrais sincèrement vous remercier et je voudrais que vous sachiez que l’intérêt que vous me manifestez en m’aidant me touche profondément ; et je prie pour que votre vie soit meilleure et que la Terre soit meilleure pour les bonnes choses que vous faites. Si vous avez l'occasion de m’écrire une lettre, j’aimerais avoir de vos nouvelles : je n’ai pas toujours la possibilité de répondre car je reçois des messages de gens des quatre coins de la Terre, mais faites-moi encore savoir ce que vous pensez ; et jusqu’à la prochaine fois, gardez la foi.

     

    Votre ami, Toujours et de Toutes les façons,

    Dans l’esprit de Crazy Horse

     

    Leonard Peltier
    Mitakuye Oyasin (Toutes mes relations)

    Site Web Campaign to Free Leonard Peltier (Campagne de libération de Leonard Peltier) : http://www.leonardpeltier.info/

    NOTE

    1. Leonard Peltier (1944-). Leader, artiste-peintre, auteur et prisonnier politique autochtone. Né à Grand Forks (Dakota du Nord, États-Unis), ce membre des Nations sioux-lakota, chippewa et anishinabée, d'ascendance canadienne-française, joua un rôle important dans les années 1970 au sein de l'American Indian Movement (AIM, Mouvement des Indiens américains) dans le réveil de la fierté autochtone et les revendications des siens. En 1975, il fut accusé du meurtre de deux policiers fédéraux, qui avait eu lieu dans la réserve de Pine Ridge (Dakota du Sud), lors de la commémoration du massacre des Sioux de Wounded Knee (1890) et condamné sans preuves en 1977 à deux peines d'emprisonnement à perpétuité. Malgré la pression internationale, il est toujours détenu au pénitencier de Coleman (Floride).

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