Lettre aux diffuseurs de la future émission de variétés intitulée «Pow-wow»

par maikanisnaakarmen

20 avril 2015. Lettre aux diffuseurs de la future émission de variétés intitulée «Pow-wow»
reprenant ainsi un terme cher aux nations autochtones de l’ensemble des territoires québécois, canadien et nord-américain.

Nouvelle du projet d’émission Pow-wow sur la chaîne télé de Radio-Canada, publiée aujourd’hui même:
http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/hugo-dumas/201504/20/01-4862555-pierre-lapointe-animera-pow-wow.php

Kuei, Bonjour,

Je me présente en tant que citoyenne et participante à la société québécoise. Mon nom est Natasha Kanapé Fontaine et je suis poète militante écologiste, Innu de la communauté de Pessamit située sur la Côte-Nord. Je suis issue de la branche québécoise du mouvement pancanadien Idle No More (Fini l’inertie!) et depuis défenderesse de l’identité et des cultures autochtones. J’étudie présentement de nombreux penseurs autochtones, québécois et caribéens, dont Édouard Glissant et suis à l’écriture d’un essai philosophique sur la relation entre l’identité et le territoire.

Pour en venir à nos bisons, je me permets donc de vous écrire, à cette fin de vous signaler un cas d’appropriation culturelle quant au nom choisi pour le titre de la future émission de variétés.
Je souhaite vous signifier ma forte opposition à l’utilisation de ce terme pour une émission commerciale de variétés, malgré qu’elle ne soit qu’au stade de projet. L’on devine qu’elle ne risque de ne jamais servir, je le suppose, à la diffusion d’art actuel autochtone et de musique traditionnelle modernisée. Ce que l’on pourrait en sous-entendre.

Mes raisons pour laquelle je m’oppose: voici d’abord une des premières données de la recherche du terme en question sur Google, un extrait de l’étymologie du mot «pow-wow» selon Wikipédia (donc information facilement accessible via le web):

«Le mot «pow-wow» est un dérivé du mot pau wau ou pauau, qui désigne un leader spirituel, une personne-médecine ou un rassemblement de leaders spirituels dans la langue algonquienne. Les Américains d’origine européenne ont cru que ce mot représentait tout rassemblement autochtone et ils ont déformé sa prononciation en pow-wow. Finalement, apprenant la langue anglaise, les Amérindiens ont eux aussi commencé à utiliser ce terme, avec sa nouvelle prononciation et son nouveau sens.»

Pour ce qui est de mes valeurs en rapport à cette protestation, mon raisonnement est tel que dorénavant, nous Autochtones (descendants d’Ancêtres et d’Aïeux ayant vécu la colonisation (ou le massacre, ou l’écrasement) de leur identité, donc de leur culture, donc de leur langue, de leurs territoires d’origines, territoires en tant que bases de leur identité), nous nous devons désormais de protéger notre héritage culturel, philosophique, spirituel autant que notre patrimoine matériel et immatériel de l’utilisation erronée par un cas d’ignorance ou d’inconscience coloniale. Nous sommes dans l’obligation, en ce moment même, qui est toutefois une excellente occasion à l’éducation populaire et aux peuples (car je n’exclus pas les Premières Nations) d’en apprendre plus sur les constituants de l’identitaire autochtone, d’informer et de sensibiliser sur les réseaux sociaux sur le pourquoi de notre opposition générale, sur le délit d’appropriation culturelle dans ce cas-ci, inconsciente.

Pour que désormais, il y ait incitation au respect mutuel et au partage des connaissances respectives. Pour que désormais, il n’y ait plus de relation d’oppression ou de domination d’une culture sur une autre. Je souligne que je serai d’ailleurs dans la compréhension de certaines positions risquant d’être en contre-réaction, car l’histoire a été falsifiée. Seulement celle écrite par les vainqueurs a été donnée en enseignement dans l’ensemble de nos écoles à tous.
Pour que désormais, ni 500 ans d’assimilation, d’acculturation, de dépossession, ni même une Crise d’Oka (nous ayant séparés drastiquement) ne nous empêchent de nous regarder en face et de guérir nos personnes et nos relations, car nous n’avons pas le choix de se côtoyer: nous sommes peuples et individus issus de la colonisation d’un territoire, et nous y sommes toujours présents.

Si nous partageons le même territoire depuis 500 ans maintenant, nous partageons forcément une identité commune et plurielle.

Voici quelques sites ou commentaires qui aideront à la compréhension de ma position et de celle de bien d’autres membres des Premières Nations du Québec qui s’ajouteront à ma voix:

Commentaire de la revue autochtone – Peuples visibles – sur sa page Facebook, il y a 1 heure :

«Suite à l’annonce de cette nouvelle émission («Pow-wow», Radio-Canada), vous entendrez peut-être des gens décrier son titre, en l’associant à de l’appropriation culturelle. Pourquoi?
Les Pow wows gagnent en force et en signification depuis plusieurs décennies. D’abord tradition à fonctions diplomatique et spirituelle des peuples des Plaines, ils sont devenus une façon d’affirmer, de célébrer et de vivre l’«indianité» à travers l’Amérique du Nord.
Exemple: 
PowWows.com, et cet articlehttp://ethnomusicologie.revues.org/901?lang=en

Au Québec, quand les allochtones parlent de pow-wow, ils pensent généralement à un gros party rassembleur, sans plus. On trouve ça cute. On pense connaître et comprendre le sens du mot. Dans les faits, on étale surtout notre ignorance. L’appropriation culturelle, c’est extraire un seul aspect d’une culture pour le faire sien, sans comprendre la culture dont il est extrait. Et c’est doublement insultant quand ça vient d’une culture en position de domination.
Si vous croisez des gens fâchés, vous saurez pourquoi.»

Durant de trop nombreuses décennies, ces rassemblements culturels ont été interdits et écrasés par de nombreux gouvernements issus de la colonisation à travers l’histoire pour diverses raisons, entre autres politiques et religieuses, sous menace d’incarcération.

Pour le sens de la valeur spirituelle et sacrée du pow-wow qui serait peut-être plus difficile à comprendre, voici mes commentaires personnels:

«À la base, la danse de pow-wow est une danse cérémonielle. Le pow-wow est constitué de danses et de chants qui sont fondés sur le rituel traditionnel, qui liaient les peuples et les communautés de l’Amérique du Nord en une relation avec le Créateur, dans leur relation avec leur environnement respectif. Chaque danseur d’aujourd’hui qui danse dans les pow-wow a une relation spirituelle à sa danse et à son geste de danse qui est dédié au Créateur et à l’environnement, pour participer en tant qu’être vivant à cet environnement. Je dis «sacré» dans le sens que l’on lui doit son respect et sa valeur humaine.
De plus, le pow-wow et les activités qui le constituent aident un grand nombre de jeunes filles et de jeunes hommes des communautés à tranquillement entrer en contact avec des traditions autochtones, et à cheminer, dépendamment de chacun, en dehors de la toxicomanie et/ou de la dépendance de l’alcool.»

Pour ce qui est des danses, vous pouvez en voir d’innombrables démonstrations via Youtube.

Je m’oppose donc à toute utilisation de mots ou de constituants des cultures autochtones à des fins commerciales et vides de sens.
Les cultures autochtones ainsi que leurs individus doivent être désormais respectés, ainsi que valorisés.
Nous prônons la compréhension et l’égalité, moi la première, alors je vous prierai de faire de même.

Nous sommes à une époque où nous devons passer à autre chose et à entrer dans la décolonisation des consciences, et d’avoir acte de l’impact du colonialisme dans nos vies actuelles à chacun et chacune, dans nos relations de «nations à nations», comme certains osent le dire. Je préfère parler d’abord de peuples distincts, avec la richesse de leurs cultures et de leurs langues respectives.
Et vous n’avez pas fini avec le nombre de peuples et cultures autochtones qui existent, dans le présent, sur tout le territoire québécois, canadien et nord-américain.

Alors, avec toutes ces connaissances que je vous ai transmis aujourd’hui, je vous prierai de partager cette information, pour ensuite contribuer au renforcement de nos relations et de nos consciences.
Je vous prierai, sinon, à transmettre mon opposition aux personnes concernées quant à l’utilisation du terme «Pow-wow» à des fins d’émission de variété télévisée sous le titre en question, soulevant présentement et également l’opposition des membres des Premières Nations du Québec et d’ailleurs.

Avec toutes mes amitiés,
mes salutations les plus sincères,

 

Natasha Kanapé Fontaine
Upessamiu Shipu Innu Ishkueu
Poète militante écologiste, peintre et comédienne

Manifeste Assi, Mémoire d’encrier, 2014
Finaliste Prix Émile-Nelligan

kanapefontaine@gmail.com

" dernière minute " le titre de l'émission va changer .